
La « syrianisation de la Libye » : l’image a été employée le 27 mai par le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, devant la commission sénatoriale des affaires étrangères. Accueillant lundi 22 juin le président tunisien, Kaïs Saïed, Emmanuel Macron a tenu le même discours : « Je ne veux pas dans six mois, un an, deux ans, avoir à constater que la Libye est dans la situation de la Syrie d’aujourd’hui. » Appelant à un cessez-le-feu, dans le droit fil de la conférence internationale de Berlin en janvier, le chef de l’Etat a demandé à ce « que cessent les ingérences étrangères et les actes unilatéraux de ceux qui prétendent gagner de nouvelles positions à la faveur de la guerre » en Libye. Une nouvelle mise en cause de la Turquie, qui joue selon M. Macron « un jeu dangereux ».
En matière de « jeu dangereux », la France s’est pourtant exposée aussi aux critiques, qui affaiblissent aujourd’hui ses appels à la concorde négociée. Comment défendre l’idée d’un cessez-le-feu, après avoir tant soutenu politiquement l’une des parties du conflit, en la personne du maréchal Khalifa Haftar, dressé contre un gouvernement reconnu par les Nations unies (ONU) ? Comment peser dans ce dossier majeur, dès lors qu’on n’a pas de forces armées déployées sur le terrain, contrairement à la Turquie et à la Russie ?
Le paradoxe est désastreux : les Européens n’ont jamais eu aussi peu d’influence dans ce pays déchiré qu’au moment où ils semblent, enfin, présenter un front uni.
La France et l’Italie, aux stratégies longtemps divergentes, ont signé, jeudi 25 juin, avec l’Allemagne un communiqué commun, après un autre daté du 6 juin. Ils y « exhortent (…) les acteurs étrangers à mettre un terme à toutes les ingérences ». Cet effort intervient après plusieurs mois de rapprochement entre Rome et Paris, ces deux grands brûlés de la Libye. L’Italie avait soutenu la mise en place du gouvernement d’accord national (GAN) de Tripoli, dont la France dénonçait les liens avec des milices radicales. Les deux pays tentent aujourd’hui l’équidistance, ensemble.
Turquie et Russie renforcées
Mais n’est-il pas trop tard ? Aux yeux des acteurs et des commentateurs de ce conflit, qui a connu différentes phases depuis l’intervention militaire occidentale de 2011 et le lynchage de Mouammar Khadafi, le pari Haftar de la France est perdu. Sur le plan politique, s’entend.
La présence militaire française n’a pas été reconnue, en dehors de l’épisode des quatre missiles antichars Javelin de fabrication américaine, découverts fin juin 2019 à Gharian, au sud-ouest de Tripoli, sur une base désertée par les forces du maréchal Haftar. L’armée avait expliqué que ces missiles, sans lanceurs, appartenaient à un détachement français chargé d’une opération de renseignement.
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